Descendance Tome 1 - Prologue
- Marion Laurent Auteure
- 18 févr. 2015
- 6 min de lecture
J’ai toujours été obnubilée par la mort. Je me souviens d’une question que mon professeur de français nous avait posée quand j’étais en sixième. « De quoi avez-vous peur ? » Mes petits camarades avaient répondu : des araignées, de l’eau, ou même de rien pour certains petits caïds de l’époque. Moi, j’avais répondu : de la mort. Assez étonnant pour une enfant de 11 ans mais pas tellement quand on connait mon histoire.
J’ai perdu mes parents dans un accident de voiture alors que je n’avais que 5 ans. Je ne me souviens pas vraiment ce qu’il s’est passé car j’ai eu une perte de mémoire temporelle suite à cette période. Tout ce qui s’est produit entre mes 5 ans et mes 10 ans m’est complètement inconnu. Mais je pense savoir que c’est depuis ce jour que je vis avec la peur de la mort quotidiennement. C’est un sentiment étrange mais on finit par s’habituer à imaginer le pire et à se gifler pour ne pas invoquer le mauvais œil.
Suite à cet évènement tragique et n’ayant pas d’autre famille, on m’a placée chez ma grand-mère, qui vivait à Williamsburg, dans le Kentucky. Quand je repense à mon enfance et malgré tout l’amour qu’elle a pu m’apporter, j’ai un sentiment profond de solitude et d’isolement. Elle m’a souvent racontée que je restais, seule, dans ma chambre, plongée dans un profond silence.
Je lisais pendant des heures, partout et tout le temps. Tous les registres y sont passés mais ce que je préférais c’était les histoires fantastiques où l’irréel surplombait le réel. Je pense qu’il s’agissait pour moi d’une échappatoire, ou plutôt d’un rêve d’idéal où le monde dans lequel je vivais n’existait pas. Un monde où mes parents ne seraient pas morts, où je ne serais pas toute seule. Je pense avoir écumé tout le registre en la matière car ma grand-mère, passionnée par l’occulte et le fantastique, possédait tous un tas de vieux livres et de vieux romans.
À leur décès, mes parents m’avaient léguée toute leur modeste fortune et notamment leur maison. Ma grand-mère l’avait vendue pour pouvoir me payer des études dans une école privée, jusqu’à l’obtention de mon test d’aptitude il y a trois ans. J’avais obtenu de très bons résultats qui m’auraient permis de rentrer dans n’importe quelle université mais rattrapée par les années, ma grand-mère était tombée malade. N’ayant plus assez d’argent pour lui payer une maison de retraite, ni même une infirmière à domicile, j’avais pris la décision de rester auprès d’elle.
Tous mes copains de classe étaient partis de Williamsburg pour continuer leurs études. Le peu de vie sociale que j’avais était partie avec eux. Je devais être à la maison quasiment 24h/24. Je m’octroyais une heure de temps en temps lorsqu’une de nos voisines venait discuter avec Nona. Le besoin de prendre l’air se faisait sentir et j’appréciais chaque sortie.
Quand je me suis retrouvée seule la première fois, j’ai marché. Je ne savais pas où je voulais aller alors j’ai marché à travers la ville. Je connaissais les quartiers voisins aux nôtres car nous y avions nos habitudes avec Nona, mais je ne m’étais jamais trop aventurée plus loin. Malheureusement une heure est vite passée et quand on marche on ne va pas bien loin. Alors la deuxième fois, j’ai marché plus vite et je suis allée un peu plus loin dans ma découverte de l’inconnu. La troisième fois, j’ai même réussi à aller jusqu’au panneau de sortie de ville. J’ai regardé la route s’éloigner sans pouvoir la suivre et je me suis sentie frustrée de ne pas pouvoir continuer. À partir de la quatrième sortie, j’ai commencé à courir. Je suis arrivée au panneau de sortie de ville beaucoup plus rapidement bien entendu et cette fois je ne me suis pas arrêtée. J’ai continué à courir de plus en plus vite à chaque sortie. J’aspirais à aller toujours plus loin mais mes obligations me rappelaient à l’ordre et il était hors de question que j’abandonne Nona. Je savais qu’il finirait par arriver un moment où je pourrais partir sans culpabiliser. Alors j’attendais en regardant la route s’éloigner, chaque fois un peu plus.
En janvier, sentant qu'il ne lui restait plus beaucoup de temps à vivre, elle m'avait fait promettre de quitter Williamsburg et de reprendre mes études. Nous avions alors rempli ensemble plusieurs dossiers pour des universités plus ou moins prestigieuses. Il y avait bien une université ici, à Williamsburg, l’université de Cumberlands, mais Nona ne voulait pas que je reste là. Quand elle me demanda où je voulais aller, j’ai su, Harvard.
Nona m’encouragea, elle me disait que c’était écrit, qu’elle l’avait vu dans les cartes et que je devais y aller. Elle passait le plus clair de son temps à tirer les cartes pour ses amis ou pour elle-même. Pour ma part, je préférais que le fantastique ou l’occulte reste dans les livres. J’avais pour principe fondamental que notre vie est celle que l’on veut qu’elle soit et que personne ne peut la décider pour vous. Mais elle me disait tout le temps : « Un jour, tu sais tu verras. Tu comprendras et tu y croiras. ».
J'avais repris contact avec quelques anciens professeurs qui avaient accepté de rédiger les fameuses lettres de recommandation qui constituent le dossier d'inscription. Sans cela et des notes excellentes lors de ma scolarité je n'aurais jamais pu être admise. Au vu de la situation médicale et familiale dans laquelle je vivais, j’avais obtenu une dérogation pour passer les entretiens par Skype. J’avais dû passer aussi plusieurs tests de niveaux afin de voir où j’en étais.
Je n'oublierai jamais le regard et le sourire de Nona quand je lui ai annoncé la bonne nouvelle. « Je le savais » m’avait-elle dit. « C’était écrit. ». Je n’avais pas voulu la contrarier mais c’était surtout grâce à mon acharnement scolaire et aux bonnes notes que j’avais été acceptée. Ce succès j’en étais fière, je ne le devais qu’à moi et certainement pas à une quelconque divine révélation.
Quand elle décéda une semaine plus tard, dans la nuit, j’y étais préparée. Je savais que la mort arriverait un jour ou l’autre, et je savais que c’était dans la logique des choses. C’était comme si elle avait attendu cette réponse pour pouvoir partir sereinement. Comme si elle s’était accordée de mourir en étant sûre que mon avenir était tracé et que je partirai bien de Williamsburg.
Autant j’étais trop petite pour me souvenir du décès de mes parents, autant celui-là je ne pourrais jamais l’oublier. Ne se sentant pas très bien, Nona m’avait appelée dans la nuit. Arrivée à son chevet, nous avions juste eu le temps de se dire au revoir. Prise de panique les dernières secondes de sa vie, une sérénité s’était emparée de moi quelques instants après. C’était comme si cette sérénité de m’appartenait pas et qu’elle venait d’ailleurs.
Quand les pompes funèbres sont arrivées au petit matin, son corps était déjà froid et dur. Quand je l’ai embrassée pour la dernière, j’avais encore l’impression qu’elle allait se réveiller. Sa peau était toujours souple mais on avait l’impression qu’elle recouvrait un roc. Elle semblait si paisible. J’ai toujours été étonnée de voir qu’il fallait neuf mois pour qu’un corps fonctionne correctement mais qu’en une fraction de seconde tout pouvait s’arrêter. Cependant je n’avais aucun regret. Elle était partie comme elle le souhaitait, chez elle, sans souffrir. Et j’avais pu lui dire combien je l’aimais et combien j’avais été reconnaissante de l’avoir eu dans ma vie.
À ma grande surprise, elle avait tout prévu pour « après ». Elle avait pris contact avec le fils d'un ami qui travaillait dans l'immobilier et avait fait estimer sa maison. Elle était certes petite avec ses 65m² mais elle était dans un quartier très calme et son petit jardin arboré et fleuri lui donnait un charme fou. Comme si elle connaissait la date de sa mort, elle avait fait établir un contrat pour le mois de juin 2012. J’appris donc qu’elle avait vendu sa maison à mon insu. Etant seule héritière et connaissant mes projets futurs elle avait eu peur que je décide de conserver la maison par nostalgie et que je renonce à mon avenir à Harvard.
Les nouveaux propriétaires m’avaient accordés deux mois pour que je quitte les lieux et avaient accepté de garder la plupart des meubles. J’avais dû mettre le reste dans un garde-meubles. Il m’était difficile de dispatcher aux quatre vents tous les objets auxquels ma grand-mère tenait, même si je savais pertinemment que je n’en ferai rien. J’avais gardé uniquement sa boîte à bijoux. Petite, je passais des heures à jouer avec ses bagues, ses bracelets et ses colliers, tous plus anciens et mystérieux les uns que les autres.
Une bonne partie de l’argent que la vente de la maison avait engendrée était partie dans ses obsèques. Je tenais absolument à ce qu’elle ait une sépulture digne de ce nom. Je le lui devais bien. Quant au reste de l’argent, et malgré une bourse d’études, il me serait d’une grande utilité, une fois arrivée à Harvard.
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